LSD – Tai Luc
Suite à la disparition de Tai Luc, avec Steph nous nous étions dit que L’Homme méritait un peu plus que la publication de la pochette du premier album sur Instagram…
Cet album justement, acheté à sa sortie sur une intuition…
Encore au Lycée j’ai juste entendu un titre du groupe sur France Inter, lors de l’émission Feedback, présentée par Bernard Lenoir, sur laquelle figurait « Jaurès Stalingrad » et aussi « Petit avec de grandes oreilles » de Bill Baxter, dont je n’ai pas retrouvé le 45 t, mais là je m’égare.
J’enregistrais souvent sur mon radiocassette les émissions de B. Lenoir, qui sont à l’époque mes seuls repères pour les musiques du moment.
Donc je passe et repasse le morceau « Jaurès Stalingrad » …Play…rewind…Play…rewind… et un jour à force de manips la K7 se dévide dans le lecteur… argh !!!
Je n’ai ni les codes ni les références, je ne comprend pas le texte dans les détails, mais c’est du bon rock’n’roll speed et le morceau imprime mon cerveau.
Peu de temps après je suis dans la seule boutique de disque de Périgueux, heureusement tenue par le père de Titane qui conseille sur les musiques de D’jeunes de l’époque. Je vois la pochette noire du disque, un blouson de cuir floqué au pochoir, La Souris Déglinguée. Il n’en faut pas plus pour que j’en fasse l’acquisition.
Une fois le disque posé sur la platine, c’est la claque, et comme je le dis, je n’ai ni les codes ni les références… n’empêche, si je ne comprendrais que quelques années plus tard ces références parisiennes ou de mauvais garçons, pour l’ensemble, je retiens « à bas les adultes qui bloquent la ville, tous des salauds l’état brut »…
Et ce morceau speed « Salue les Copains », court concis, trois vers, une image dans ma tête, imprimée définitivement. J’y vois, un mec en mob qui arrive à fond le poing levé rejoignant ses potes dans un déferlement de bruit, ou qui essaie de s’intégrer parmi une bande d’outsiders comme lui. Je suis conquis et accro à LSD.
Tai Luc est un poète urbain, de ceux qui parlent aux oubliés, qui leur donnent la parole… L’homme est fédérateur, sans faux semblant il va droit au but, il raconte, il chronique, cette nation apatride, ce parti de la jeunesse.
Sa disparition laisse un grand vide pour nombre d’entre nous, pour tous ceux qui sont passés par le Parti de la jeunesse.
Dix jours après le tragique évènement nous étions à un concert de Wunderbach au Cirque électrique. Le destin de ce groupe est lié à la Souris et à Tai Luc. Fin du set, ils rendent un vibrant et assourdissant hommage en reprenant « Salue les Copains » rejoint par Rikko bassiste de la Souris, devant un public poing levé entonnant les paroles comme un seul cœur, une seule nation, une seule émotion. La Raïa était au rendez-vous…
Plus tard nous retrouverons Marco de Wunderbach qui nous raconte :
« Tai Luc a changé ma vie… véritablement changé ma vie, sans lui Wunderbach n’aurait été qu’un groupe de punk rock qui aurait crashé en plein vol… Nous étions assez glandeurs, mais il croyait en nous… il nous a appelé pour faire leur première partie, on a joué avec eux, il nous a soutenus et il nous a fait enregistrer notre premier LP puis le second, en s’occupant de toute la logistique… Tai Luc a changé ma vie…
En revanche ce terme de Raya… S’il a été popularisé par la Souris, il vient de chez nous… à l’époque on trainait avec les gamins gitans de notre âge, et justement trainer zoner en gitan c’est railler… donc on raille… et de zonage en raillage aux Halles, on se baptise en Raya et on en fait un morceau… Et Tai Luc va adopter le mot et le populariser… Il est fédérateur et le public s’y reconnait s’y identifie … »
Moi aussi, petit provincial, coincé dans sa campagne, à 15 bornes de la « Civilisation » il a changé ma vie, il m’a fait entrevoir autre chose et notre désœuvrement provincial n’était pas si éloigné des textes de La Souris… Là bas aussi, le club des étroits d’esprit nous « bloquait la ville ».
Quelques années plus tard je débarque à Paris et je découvre Jaurès et Stalingrad à la croisée de 3 arrondissements, ses toxicos ses zoneurs assis le long du canal à écluser un pack de bières, ses sounds systèmes à grosses basses… C’est l’époque de Banzaï ! musicalement plus accessible, flirtant avec le Rap Crossover, Le Clash a montré la voie et Public Enemy est passé par là… Mais les textes, les syllabes toujours collées au rythme claquent comme autant d’images dans la tête, nous parlent d’un ailleurs, de l’Asie, de ses racines mais continuent de parler encore des oubliés d’autres horizons, toujours le regard à 360°…
Nous ne l’avons pas connu mais nous aussi il a changé notre vie… Rest in Power Tai Luc.
Surveillez les bacs à disques, l’album à venir de Wunderbach est prévu pour le mois de juin.